Le cheval de trait protecteur des milieux naturels.
Au Nord Ouest du massif forestier de la Hesbaye Occidentale, à Grand Lez, une zone humide à phragmites à haute valeur environnementale tente de résister à l’envahissement de la futaie avoisinante. Les pluies hivernales de cette fin février détrempent encore davantage les sols marécageux de la roselière. Gladys, une jument de trait ardennaise aux ordres de son meneur, David Mullender, et une dizaine de bénévoles se jouent du sol spongieux pour réhabiliter le milieu naturel.
“Ce matin, Gladys a un peu trop de tempérament. C’est toujours comme ça lorsqu’elle commence sa journée de travail mais elle va se mettre au rythme” m’indique David en m’accueillant sur le site. En effet, quelques aller et retour à la traction du traineau finissent par convaincre la jument de prendre un pas de travail adapté à celui de son meneur. Après avoir été débroussaillés, les ronciers sont ratissés pour être entassés par les bénévoles. Les tas de ronces, ankilosés par les pluies régulières, sont chargés sur le traineau attelé au cheval. Sur le sol humide, les rails dessinent le parcours qui mène les déchets végétaux jusqu’au bosquet avoisinant. Par endroit, la jument ardennaise enfonce ses sabots dans le sol détrempé jusqu’à la couronne.
Sauvegarder la roselière
Tout a commencé il y a trois ans lorsque Philippe Lamotte et un de ses amis, attirent l’attention sur la menace qui pèse sur le site: la roselière se fait envahir au fil des ans par les essences feuillues, les ronces et autres orties avoisinantes du bois de Grand Lez. D’une superficie d’un hectare, la roselière habritait auparavant de nombreuses espèces d’oiseaux, notemment deux espèces protégées que sont le Bruant des roseaux et la Fauvette effarvatte qui sont des espèces typiquement aquatiques et dont les populations se raréfient en Région Wallone. Peupliers, noisettiers et autres essences arbustives grignotent sur l’habitat naturel de la végétation de roseaux où une faune ornitologique typique des milieux humides à phragmites se raréfie.
L’objectif de Philippe Lamotte: interrompre l’envahissement de la phragmitaie par les peuplements arbustifs et invasifs. La plupart des arbres ont été coupés et le bois évacué. Les phragmites sont fauchés pour en favoriser la régénération et les ronciers qui étouffent encore les pousses de roseaux sont coupés et évacués.
“Si rien n’est fait, la roselière disparaîtra complétement d’ici 3 à 4 ans et les espèces autoctones auront perdu l’entièreté de leur habitat spécifique” m’explique Philippe Lamotte, porteur du projet. Soutenu par un grand nombre de bénévoles intergénérationnels et avec l’aide précieuse de Gladys et de David Mullender sur le site pour la cinquième journée, Philippe Lamotte a pu aussi obtenir le soutien financier de la commune de Gembloux dans le cadre du plan communal de développement de la nature. Animés par un objectif commun, tous ont la volonté de revoir une nature originelle.
Cheval respecté, cheval adapté
Alors que je promène le pied de mon appareil photographique aux quatres coins de la parcelle dans l’espoir de trouver une lumière plus généreuse, la gravité enfonce mes pas dans le sol meuble et gorgé d’eau. Sur ce site, aucun véhicule motorisé ne pourrait rivaliser avec le cheval de trait. Pour travailler dans ces milieux naturels où l’énergie est indispensable, le cheval de trait est incontournable si l’homme veut être aidé dans son labeur. La surface limitée des sabots du cheval suffit à assurer la portance du sol qui retrouve rapidement son aspect initial au passage de l’équidé. Le sol reste intact, sans ornières.
Pour immortaliser ces instants, mon index mitraille de photos. Dans l’oculaire, je vois grandir Gladys en jouant avec l’objectif. Les détails de sa morphologie m’apparaissent prononcés et je me plais à observer avec précision comment le cheval évolue au côté de son meneur. Ils vont et viennent avec des tas de ronces ou de bois encore oubliés sur le terrain et entassés sur le traineau par les bénévoles. Le respect; c’est à mon sens ce qui caractérise au mieux la manière dont David obtient ce qu’il souhaite de sa jument ardennaise. David ne monte pas sur le traineau vidé de son chargement. Il marche à côté, tenant le cordeau qui le relie à la jument à qui il parle doucement, sans arrêt, pour l’encourager dans l’effort ou pour freiner ses ardeurs trop risquées sur les pentes du terrain.
A l’origine, Gladys était un cheval d’attelage que le premier propriétaire trouvait trop lent pour s’adonner à cette discipline. C’est sans doute de cette vie précédente que la jument a garder la tendance à prendre le trot à la traction. Tantôt trop lent, tantôt trop rapide, le cheval adapte son pas au besoin de son meneur. David la rassure régulièrement pour ralentir son pas et ménager ses efforts. Aujourd’hui âgée de 11 ans, Gladys est régulièrement utilisée dans divers travaux hippotractés.
Un infirmier devenu agent forestier
David Mullender n’était pas particulièrement destiné à côtoyer le cheval de trait. C’est en accompagnant ses enfants à l’équitation qu’il découvre le monde du cheval et s’en rapproche. Un jour, il s’attarde auprès d’un cheval du manège très récalcitrant qui refusait systématiquement de sortir du box. Il prit plaisir et patience pour finir à faire accepter la bride au cheval et le faire sortir du box sans effarouchement. Ce fut en quelque sorte une étincelle.
Dans la commune de Marchin où il réside, David proposa à un éleveur de chevaux de trait de devenir suiveur lors des concours de modèles et allures pour donner les impulsions aux chevaux afin qu’ils prennent les allures demandées lors de leurs présentation au jury. C’est là qu’il découvre le cheval de trait et son milieu. Très vite, il ressent l’attrait pour le cheval débardeur plutôt que pour les concours de modèle où la puissance du cheval n’est pas exploitée. Il se retrouve chez Marc Guillaume, débardeur professionnel, qui deviendra son initiateur en débardage au cheval. “J’y ai entre autre appris qu’avec les chevaux de trait au travail, la fermeté est aussi parfois nécessaire” évoque David. Il y achètera “Gladys” qui reçu de son nouveau meneur un nouvel apprentissage pour être menée au cordeau.
La jument ardennaise servira ensuite de trait d’union entre la profession d’infirmier et celle d’agent forestier pour réorienter le parcours professionnel de son nouveau propriétaire. Du milieu hospitalier, David Mullender se retrouve aujourd’hui à la Division Nature et Forêt de la Région wallonne. En complément à sa profession, il preste régulièrement en débardage, labour, protection des milieux, viticulture et autre tonte et entretien d’espaces en mode “énergie cheval” et sous le nom de,“CAPECOSYS”.
Si vous croisez David Mullender, il sera probablement accompagné de son cheval Gladys dont je vous recommande d’admirer la force, l’allure, la crinière et le modèle typiquement ardennais.
Valère Marchand